Taille des camps : Le siège césarien de 52 av. J.-C. ?

 

 

Un siège romain :

 

« Cent cinquante ans de recherches archéologiques ont confirmé l'homogénéité du dispositif, son origine romaine, sa datation césarienne et sa fonction militaire (1) ».

 

Après les dernières fouilles, 3 camps ont été confirmés ainsi que 3 castella (NB : 4 si on y inclut le fortin de l'épineuse)(2), ce nombre limité pose évidemment question, toutefois, il semble que de futures fouilles devraient être fructueuses comme le confirment les principaux fouilleurs modernes : « il est bien clair que nous ne connaissons qu'une très petite partie des campements césariens (3) », « que nous ne les connaissions pas tous est non moins évident (4) », « on peut conclure qu'un certain nombre de cantonnements restent à découvrir, notamment sur le Réa et sur le Pennevelle (5) ».

Quant aux castella qui n'ont pu être inclus dans le programme des fouilles de 91/97, « nul doute que d'autres dispositifs de ce type restent à découvrir (6) ».

 

 

Un siège romain, césarien ?

 

Du fait de l'ampleur des recherches déjà menées sur le site et du peu de surfaces encore disponibles sur le Réa et le Pennevelle, est-il encore envisageable d'espérer découvrir, à l'abri des lignes d'investissements, d'autres camps d'envergure ?

Et qu'en est-il de la taille et de la capacité d’accueil des camps et castella retrouvés ?

 

En l'état des recherches, l'ensemble des camps archéologiquement attestés pouvaient accueillir, au total, à peu près 9000 hommes sur une vingtaine d'ha (7). Cette estimation, encore affinée par M.Reddé qui se base sur le pied romain plutôt que sur le pied hellénistique, s’établit à plus ou moins 11000 hommes, chiffrage sans doute un peu élevé si l'on doit en plus tenir compte de la place occupée par les chevaux (8).

 

La valeur moyenne obtenue fixerait ainsi le nombre total des hommes ayant occupé les camps, autour de 10000, estimation qu'il faut de toute évidence revoir un peu à la hausse pour tenir compte des castella voire des castra qui n'ont pu être encore retrouvés sur le Réa ou le Pennevelle, du fait notamment de la topographie particulière des lieux (9).

 

L’armée qui a assiégé Alise-Sainte-Reine serait donc forte d’une dizaine de milliers d’hommes au minimum, chiffre auquel il faut ajouter les effectifs des camps non découverts à ce jour. Mais cette estimation ne présente pas grand intérêt si on ne connait pas le nombre de légions présentes à Alésia, la composition et l'effectif total de l'armée césarienne.

 

Quels étaient les effectifs romains au moment du siège d’Alésia ?

 

- Jules César ne nous a pas laissé d'indications précises sur l'effectif romain, il faut donc s'en remettre aux estimations des nombreux spécialistes qui ont traité cette question :

 

- Napoléon 1er : 80000 hommes (10)

 

- Napoléon III : 75000 hommes sans compter les valets (11)

 

- Camille Jullian : 40 à 50000 combattants romains (12)

 

- Joël Le Gall : Dix légions avec six mille combattants chacune (13)

 

- Jerôme Carcopino : Onze légions (14)

 

- Christian Goudineau : Douze légions (en théorie 48000 fantassins) plus 4000 auxiliaires, soit 52000 combattants, il faut à peu près doubler ce chiffre pour tenir compte des accompagnateurs (15)

 

- Michel Reddé : Dix à douze légions, 40 à 45000 hommes au bas mot, quelques corps auxiliaires, la cavalerie germanique, les valets (16)

 

- Jean-Louis Voisin : Dix légions (4200 hommes par légion en début de campagne), plus auxiliaires, valets, esclaves, marchands (17)

 

- Yann Le Bohec : 50000 légionnaires (5000 hommes par légions) (18)

 

- Claude Grapin : Dix ou douze légions, pas moins de 45000 hommes (19)

L'évolution du nombre de légions années par années. Crédit : L.Kepple.
L'évolution du nombre de légions années par années. Crédit : L.Kepple.

Le nombre de combattants romains s'établirait donc entre 40000 et 60000 hommes (pour ne retenir que les estimations les plus contemporaines), le nombre total des effectifs romains ne pouvant qu'être largement supérieur aux effectifs combattants, sinon de l’ordre du double (cf. Ch. Goudineau).

 

Or et de toute évidence, sans écarter la possibilité qu'il puisse rester quelques structures à découvrir, les 10000 places disponibles dans les camps et castella attestés autour d’Alise Sainte Reine ne peuvent pas contenir une population potentiellement cinq à dix fois plus importante.

Cette incompatibilité entre la réalité de l'effectif romain théoriquement présent à Alésia et les observations sur la capacité des camps observée sur le terrain, serait-elle due aux particularités topographiques des collines qui entourent le mont Auxois ?

 

Relation entre la topographie et la conception des camps romains sur les hauteurs :

Les fouilles sur la « montagne » de Bussy avec le Mont Auxois en vis-à-vis. Crédit : Fouilles franco-allemandes (1997-1997).
Les fouilles sur la « montagne » de Bussy avec le Mont Auxois en vis-à-vis. Crédit : Fouilles franco-allemandes (1997-1997).

Implantés en bord de plateau afin d'avoir le Mont-Auxois en vis-à-vis, les camps et castella de hauteurs le sont aussi sur de légères éminences (20), ce qui leur permet de bénéficier d'un léger avantage défensif. Dans la même optique d’efficacité, les remparts des camps suivent les courbes de niveau (21) ce qui paraît leur donner des formes non conventionnelles (22) par opposition aux camps parfaitement orthonormés de l'Empire.

Castellum 18 (à gauche) et fossé de circonvallation sur la montagne de Bussy.  Crédit : Aerophotothèque© R. Goguey. Musée Alésia, conseil général de la côte-d’Or.
Castellum 18 (à gauche) et fossé de circonvallation sur la montagne de Bussy. Crédit : Aerophotothèque© R. Goguey. Musée Alésia, conseil général de la côte-d’Or.

Est-ce que ces données auraient pu constituer un obstacle à l'édification de camps de taille nettement plus importante ?

 

Les plateaux qui entourent le mont Auxois sont vastes et présentent une déclivité très faible (23), ils sont donc tout à fait adaptés à la construction de camps de grande capacité susceptibles d'accueillir l'ensemble des effectifs césariens, ceci sans étirement plus important des lignes de circonvallation.

Les fouilles sur la « montagne » de Bussy. On observera que l’absence de relief aurait été tout à fait favorable à l’édification d’un camp de très grande taille. Crédit : Fouilles franco-allemandes (1997-1997).
Les fouilles sur la « montagne » de Bussy. On observera que l’absence de relief aurait été tout à fait favorable à l’édification d’un camp de très grande taille. Crédit : Fouilles franco-allemandes (1997-1997).

Le fait que ces camps soient installés sur des micro-reliefs favorables n'est en aucun cas un frein à leur développement, dès l'instant où le point le plus « élevé » se situe à l'intérieur de l'enceinte, quel que soit son positionnement exact (24).

La taille réduite des camps sur les hauteurs qui entourent Alise, semble résulter d'un choix délibéré, probablement adapté au nombre de soldats composant l'armée assiégeante. En aucun cas, le périmètre des enceintes ne peut avoir été contraint par la topographie.

 

Où sont passés les camps de César ?

 

L'armée de César en retraite pendant l'été 52 av. J.-C. est l'une des plus formidables de l'antiquité, à ce moment précis il bénéficiait de dix à douze légions dont l'effectif complet, soldats et intendance, a pu contenir très probablement entre 60 et 80000 hommes (cf. supra : Effectifs romains).

 

À l'intérieur des lignes, les camps romains attestés autour d'Alise-Sainte-Reine pouvaient contenir, globalement, une dizaine de milliers d'hommes, et seuls quelques petits camps, ou castella, restent vraisemblablement à découvrir, principalement sur le Réa et le Pennevelle.

 

Quand bien même les futures recherches mettraient au jour l'ensemble des cantonnements romains autour d'Alise, est-il possible d'imaginer que les surfaces puissent être multipliées par dix, voire même simplement par cinq ?

 

En l'état actuel du dossier (25), la réponse est négative et il semble, de toute évidence, que nous ne soyons pas là en présence de l’immense armée césarienne.

 

 

 

NOTES ET REFERENCES :

 


(1) C. Grapin, L'empreinte de César, in : Archéologia, Muséoparc Alésia, Hors-série n°14, 2012, p. 14.


(2) «  Il est étonnant que, jusqu'à présent, seul trois des vingt-trois castella aient pu être mis en évidence ». S. von Schnurbein, Camps et castella, in : M.Reddé et S. von Schnurbein (dir.) et alii,, Fouilles et recherches franco-allemandes sur les travaux militaires romains autour du mont Auxois (1991-1997), Mémoire de l'académie des inscriptions, vol. 1, Paris, 2001, p. 513.


(3) S. von Schnurbein, Camps et castella, in : M.Reddé et S. von Schnurbein (dir.) et alii,, ibid., p. 509.


(4) « C'est le lot de toute recherche archéologique, sur un site gigantesque, difficile, souvent boisé, où l'on ne peut tout faire à la fois, d'autant que la maîtrise foncière y fait défaut ». M. Reddé, Alésia. L'archéologie face à l'imaginaire, Paris, 2003, p. 164  


(5) M. Reddé, Les fouilles franco-allemandes, in : Alésia - Comment un oppidum gaulois est entré dans l'histoire, dossier d'archéologie, n°305, Dijon, 2005, p. 67.


(6) Ibid, p 67.


(7) « Si l'on prend en revanche comme élément de comparaison les données de Polybe, qui sont celles d'un camp de marche républicain, 16800 fantassins et 1800 cavaliers ont besoin d'une surface de 36 ha. Si l'on veut bien considérer cette comparaison comme pertinente, ces chiffres offrent une approximation qui permet de calculer la garnison de chacun des camps et castella d'Alésia : environ 1000 hommes dans le camp A, 3500 dans le camp B, 3000 dans le camp C, 500 dans les castella 11 et 18, environ 300 dans le castellum 15 ». S. von Schnurbein, op. cit, p.509


(8) Ces estimations sont abordées avec prudence par M. Reddé qui les qualifie lui-même de « grossières », d’après lui, une simple règle de trois donnerait le ratio suivant : 19m2/homme : Camp A = 1278 h, camp B = 4055 h, camp C = 3833 h, castellum 11 = 500 h, castellum 18 = 500 h, castellum 15 = 278 h (ndlr : il faudrait y rajouter le fortin de l'épineuse 1,4 ha) M. Reddé, Les camps militaires républicains et augustéens : paradigmes et réalités archéologiques, Saldvie, n° 8, 2008, p. 61-71, p. 69


(9) REA : « La technique de repérage au moyen de tranchées dans ce terrain très pentu livré à une forte érosion trouve ici sa limite. » M. Joly, P. Barral, La plaine de Grésigny et le Mont Réa, in : M. Reddé et S. von Schnurbein (dir.) et alii, Op. cit., p. 470. PENNEVELLE : « Le secteur concerné par la fouille, situé dans la partie inférieure du flanc ouest du Mont Pennevelle, présente un dénivelé important dans le sens nord-sud et un peu moindre dans le sens est-ouest. Au total, le contexte géologique superficiel est (…) peu propice à une bonne conservation des structures archéologiques (…) ». M. Joly, P. Barral, La contrevallation et la circonvallation au pied du Pennevelle, in : M. Reddé et S. von Schnurbein (dir.) et alii, ibid., p. 478.


(10) « ils avaient dix légions, ce qui avec la cavalerie, les auxiliaires, les Allemands, les troupes légères, devait faire une armée de 80000 hommes ». Napoléon 1er, Réflexions de Napoléon sur La Guerre des Gaules de César, Paris, 1836.


(11) « César disposait donc, de 50000 légionnaires, peut-être de 20000 archers numides ou crétois, et de 5 ou 6000 hommes de cavalerie, dont 2000 germains ». Napoléon III, Histoire de Jules César, Paris, 1865-1866.


(12) « Il a certainement dix légions, il en eut peut-être une onzième qu'on trouve avec César à la fin de l'année. Ajoutez les germains ». C.Jullian, Histoire de la Gaule, III, note 6, p.513.


(13) « Dix légions c'était un chiffre considérable. Aux légionnaires, il faudrait ajouter les auxiliaires (…) il y avait enfin les valets. On ne se trompera pas beaucoup en supposant que César disposait de plus de cinquante mille paire de bras et peut-être a-t-il reçu une onzième légion pendant le siège ». J. Le Gall, Alésia. Archéologie et histoire, Fayard, Paris, 1963, p. 83.


(14) J. Carcopino ne développe pas ce point, il s'appuie sur C. Jullian et M. Rambaud (R.E.A., 1958, p.111) pour convenir qu'une onzième légion est bien parvenue à César entre l'hiver 52 av. J.-C. et le siège : J. Carcopino, Alésia et les ruses de César, Flammarion, Paris, 1958, note 45, p. 210.


(15) « Si l'on veut évaluer les effectifs réels du « corps expéditionnaire », il faut à peu près doubler ce chiffre pour tenir compte des accompagnateurs de toutes sortes; esclaves, valets (…) bref tout un personnel subalterne ». Ch. Goudineau, Le dossier Vercingétorix, Actes sud/Errances, 2001, p. 399-400. 


(16) « l'instrument militaire, intact, dont César dispose, à ce moment, est sans doute l'un des plus performants qui aient existé ». » Son armée représente un tiers des corps légionnaires de l'armée du Haut-Empire ». M. Reddé, op. cit., p.44. Voir aussi le décompte des légions pendant la Guerre des Gaules par L. Kepple, p. 32.


(17) J.-L. Voisin, Alésia - Un village, une bataille, un site, Editions de Bourgogne, 2012.


(18) Y. Le Bohec hésite entre dix et douze légions, à auxquelles il rajoute les soccii (auxiliaires) notamment la cavalerie, estimée à 6000 hommes par Jacques Armand (une campagne césarienne), «  c'est un minimum ». Y. Le Bohec, Alésia, 2012, p. 82-83.


(19) « Son armée est forte de dix ou douze légions, auxquelles s'ajoutent les corps auxiliaires et tout le train. Jamais elle n'a été si nombreuse en pareilles circonstances ». C. Grapin, Le siège d'Alésia, op. cit., p. 14. Le témoignage de César, op. cit., p. 23.


(20) « Fréquemment leur périmètre se calque sur le micro-relief de moins de 2 m de haut marquant la limite d'affleurement des calcaires compacts ». C.Petit, Alésia dans son environnement, in : Alésia - Comment un oppidum gaulois est entré dans l'histoire, dossier d'archéologie, op. cit., p. 56. Et : « Sur le relevé Lidar, on observe que le camp A est implanté sur un ressaut morphologique dont il épouse la forme. Cela confirme la parfaite adaptation des fortifications romaines au terrain à défendre ». J. Vidal, Le camp de César à la lumière du Lidar, in : Muséoparc Alésia, op. cit, p. 35.


(21) « Leur forme épouse les courbes de niveau ce qui, contrairement à ce que l'on croit bien souvent, est fréquent dans les ouvrages césaro-augustéens ». M. Reddé, op. cit., p. 66.


(22) « On observera qu'il paraissait tout à fait normal, dans la castramétation de la république tardive, d'implanter des ouvrages militaires en respectant la topographie du terrain, qu'il s'agisse de situations de siège, comme à Numance ou Alésia, ou en d'autres circonstances, comme pour Alpanseque ou Aguilar ». S. von Schnurbein, op. cit., p.509.


(23) « L'Auxois des plateaux montre des tables calcaires ». « Le plateau du Mont-Auxois (…) se situe dans une région de plateaux calcaires ».  « Le Mont-Auxois (407 m) butte centrale (…) est cerné par des plateaux présentant des altitudes voisines ». « Les plateaux présentent des pentes inférieures à 5° ». C.Petit, L'environnement du site d'Alésia, in : M. Reddé et S. von Schnurbein (dir.) et alii, op. cit., p. 56. « A quelques exceptions près, un survol du site d'Alésia ne révèle que l'image d'un paysage de plateaux calcaires entaillés par de modestes vallées ». R. Goguey, L'archéologie aérienne sur le site d'Alésia. Méthodologie et résultats, in : M. Reddé et S. von Schnurbein (dir.) et alii, op. cit., p. 33.


(24) Voir à ce sujet, les camps romains républicains de Numance, d'Aguilar et d'Alpanseque (d'après M. Luik, JRGZM, 1997). S. von Schnurbein, op. cit., p.511-512.

Alpanseque.
Alpanseque.
Aguilar
Aguilar

(25) Aucunes nouvelles fouilles ne sont planifiées sur les secteurs encore susceptibles de livrer des traces de camps. Malgré tout, la connaissance du site devrait être affinée par de nouveaux relevés scientifiques en cours d'exploitation : « Commandée par le conseil général de la Côte-d'Or, une couverture Lidar vient d'être acquise sur l'emprise des fortifications césariennes du site d'Alésia. Le relevé de 27 km2 permettra d'étudier l'ensemble du site archéologique ». J. Vidal, Le camp de César à la lumière du Lidar, in : Muséoparc Alésia, op. cit, p. 35.

 

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