Les pièges décrits par César dans la plaine en face d'Alésia, retrouvés à Alise ?

 

 

César, citation : À cet effet, on coupa des troncs d'arbres et de fortes branches, on les dépouilla de leur écorce et on les aiguisa par le sommet ; puis on ouvrit une tranchée de cinq pieds de profondeur, où l'on enfonça ces pieux qui, liés par le pied de manière à ne pouvoir être arrachés, ne montraient que leur partie supérieure. Il y en avait cinq rangs, joints entre eux et entrelacés ; quiconque s'y était engagé s'embarrassait dans leurs pointes aiguës - nos soldats les appelaient des ceps -. Au devant, étaient disposés obliquement en quinconce des puits de trois pieds de profondeur, lesquels se rétrécissaient peu à peu jusqu'au bas. On y fit entrer des pieux ronds de la grosseur de la cuisse, durcis au feu et aiguisés à l'extrémité, qui ne sortaient de terre que de quatre doigts ; et pour affermir et consolider l'ouvrage, on foula fortement la terre avec les pieds : le reste était recouvert de ronces et de broussailles, afin de cacher le piège. On avait formé huit rangs de cette espèce, à trois pieds de distance l'un de l'autre : on les nommait des lis à cause de leur ressemblance avec cette fleur. En avant du tout étaient des chausses-trappes d'un pied de long et armées de pointes de fer, qu'on avait fichées en terre ; on en avait mis partout, à de faibles distances les unes des autres ; on les appelait des aiguillons. B.G. Livre 7, 73.

L'ordre des pièges décrits par César est le suivant : Cinq rangs de cippi. Huit rangs de lilia, et de manière aléatoire, un grand nombre de stimuli. César ne précise pas si ces pièges ont été mis en œuvre dans le même ordre, ailleurs que dans la plaine en face de l'oppidum, il convient donc de s'en tenir à ce secteur (1).

Dans le cadre des travaux de siège alisiens et plus particulièrement des pièges associés, César aurait décrit une situation générique commune à la plupart des sièges romains, sa description serait à adapter au terrain et non l'inverse, de cette manière, les discordances entre le texte et les observations archéologiques apparaissent comme minimes (2). Et le fait que la position respective des trois séries d'obstacles -cippi, lilia, stimuli- n'apparaisse à aucun endroit dans l'ordre décrit par César n'aurait qu'une importance relative (3).

Dans le détail et malgré quelques lacunes dans la documentation issue des fouilles du XIXème siècle, J. Carcopino signale que « les cippes ont été décelés par les trouvailles de troncs ou de fortes branches dont les les rameaux avaient été, à leur extrémité écorcés et effilés et qui avaient été fixés par le pied dans des fossés profonds de trois pieds = 1,50 m (4)». Il précise aussi que « dans la plaine entre le chemin d'Alise à Venarey et la route nationale, les terribles lys ont laissé leurs empreintes en des rangées de trous de loup épousant la forme de cônes renversés et disposés en quinconces, à intervalles réguliers de 2,60 m », enfin des stimuli auraient été retrouvés et seraient répartis entre le musée de Saint-Germain et le musée municipal d'Alise (5). J. Le Gall, dans sa description des travaux de sièges de la plaine des Laumes, confirme de manière lapidaire, que les défenses décrites par César « ont été retrouvées devant la contrevallation et la circonvallation (6)».

 

 

Mise en parallèle du texte et des fouilles :

 

En avant de la contrevallation de la plaine des Laumes, a l'ouest de l'oppidum, et sur l'ensemble du dispositif, ni l'ordre, ni les pièges décrits par César n'ont pu être formellement reconnus (7). Seul le chantier XVI a livré des structures saisissables, l'ordonnancement en quinconce pouvant les identifier à des lilia (8). Toutefois, les fosses ayant été excavées avant d'être comblées, et certaines ayant conservé la trace d'une forme de petite taille, il s'agirait plutôt de stimuli (9).

Plan du système de fortification sur la contrevallation de la plaine des Laumes. De bas en haut, rempart avec tours, fossé, glacis avec pièges, double fossés. Crédit : Fouilles franco-allemandes (1991-1997).
Plan du système de fortification sur la contrevallation de la plaine des Laumes. De bas en haut, rempart avec tours, fossé, glacis avec pièges, double fossés. Crédit : Fouilles franco-allemandes (1991-1997).

Plusieurs chantiers ont aussi livré deux traces parallèles (10) qui auraient pu accueillir les cippi décrits par César. Néanmoins considérant le caractère furtif de ces lignes, les fouilleurs ont proposé d'aborder cette hypothèse avec toute la prudence requise (11).

De manière synthétique, les conclusions brutes sont sans appel et ne permettent aucune concordance avec le texte césarien : « Les structures découvertes sur le glacis entre les fossés 2 et 3 de la contrevallation ne peuvent être immédiatement identifiés sans autre forme de procès, avec l'ensemble des pièges décrits par César. Le système à six rangées correspond certes, avec son ordonnancement en quinconce, à celui que César expose pour les lilia ; ce terme désigne cependant clairement des trappes ouvertes (trous de loup, scrobes)... Des difficultés du même ordre apparaissent dans le cas des deux petites tranchées creusées devant le fossé 3 et dans lesquelles des palissades légères semblent avoir été implantées. Parmi les expressions employées par César, seuls les cippi peuvent entrer ici en ligne de compte, bien que le terme désigne normalement des structures beaucoup plus grandes (12)».

Même conclusion à peine nuancée, chez M. Reddé : « Reste enfin la question complexe des pièges décrits par César et qui se présentent selon lui, dans un ordre rigoureux qui place de l'intérieur vers l'extérieur les cippi, puis les lilia, et enfin les stimuli, système que nous n'avons à aucun moment retrouvé complet et dans cet ordre, même si chacun des pièges décrits par César peut être identifié sur le terrain (13)».

 

 

Enfin pièges par pièges, les conclusions de S. von Schnurbein sont les suivantes :

 

Cippi : « Des traces de cette dimension (nb : 1,50 m prof) n'ont à aucun moment été mises en évidences devant les fossés. A leur place, on rencontre en revanche, à différents endroits, des rigoles peu profondes... (14)».

 

Lilia : « Pourtant, à aucun moment n'ont été découvertes les huit rangées que décrivent les commentaires (…) à la différence des campagnes de 1862/1863 qui avaient permis de mettre au jour six rangées avec une ouverture de 0,8 m et des trous de loup profonds (15)».

 

Stimuli : « On peut sans invraisemblance identifier avec les stimuli césariens le système de six rangées de petites structures fossoyées découvert sur le glacis intermédiaire de la contrevallation dans la plaine des Laumes (16)».

 

Crédit : Fouilles franco-allemandes (1991-1997).
Crédit : Fouilles franco-allemandes (1991-1997).

 

Des pièges romains mais pas ceux de César :

 

Il semble qu'il existe une nette différence, entre une vision globale des travaux de siège autour d'Alise où certains types de pièges couramment répandus en poliorcétique romaine ont bien été retrouvés : lignes de cippi, trous de loup voire traces de stimuli ; et la plaine, devant la contrevallation, lieu de la description césarienne où, ni l'ordonnancement, ni la taille, ni les pièges les plus importants (cippi, lilia) n'ont été décelés. De plus, toujours dans la même zone, l'écart entre les découvertes napoléoniennes (cf. Carcopino) et les résultats des fouilles modernes semble, en l'état des recherches, irréductible.

Il existe donc un hiatus très important entre les conclusions des principaux chercheurs qui tendent à minimiser l'écart entre le texte et le terrain, et les observations issues des fouilles qui démontrent, en réalité et sans aucune ambiguïté, qu'il n'existe, dans la plaine, aucune concordance entre la description césarienne et les pièges retrouvés.

 

 

 

NOTES ET REFERENCES :

 


1) « César décrit longuement ces travaux gigantesques et il donne au lecteur l’impression qu’il les a fait exécuter tout autour de la place. Artifice d’auteur ; en réalité, tout cela n’a été réalisé que dans la plaine des Laumes ». J. Le Gall, Alésia. Archéologie et histoire, Fayard, Paris, 1963, p. 91.

2) M. Reddé, Le siège d'Alésia: récit littéraire et réalité du terrain, in : M. Reddé et S. von Schnurbein (dir.) et alii,, Fouilles et recherches franco-allemandes sur les travaux militaires romains autour du mont Auxois (1991-1997), Mémoire de l'académie des inscriptions, vol. 1, Paris, 2001, p. 489-506. Et plus particulièrement p. 505 : « La première observation que l'on peut faire est que César n'emploie pas, en décrivant ces obstacles d'approche, des termes techniques précis mais des expressions imagées qu'il conviendrait en bonne logique, de mettre entre guillemets », aussi p.506 : « Il n'est donc pas question de nier l'écart entre les données de terrain et la description césarienne, qui témoigne sans doute autant de la culture littéraire que de la science militaire du proconsul, mais il serait excessif de s'y attarder plus longtemps ». En dernier lieu, M. Reddé, Bilan d'une recherche, in : M. Reddé et S. von Schnurbein (dir.) et alii,, op. cit., p. 562 : « Mais dans quelle mesure l'écrivain devait-il se soucier de donner des détails d'autant plus inutiles qu'ils obscurcissaient le propos...S'il existe quelques écarts, au demeurant plus mineurs qu'on ne l'a dit, entre la source littéraire et le terrain, ce n'est ni parce que César a délibérément falsifié la vérité, ni, évidemment, parce que le terrain ment ».

3) «  Les fouilles ont donc révélé trois systèmes différents d'obstacles d'approche. Si l'un d'entre-eux correspond très précisément à la description césarienne, les deux autres n'en sont pas si éloignés qu'on ne puisse relier la réalité littéraire au terrain (…) malgré l'écart irréductible mais minime, entre les données du sol et la description isolée de chaque ensemble de pièges (…) le fait que la position respective des trois séries d'obstacles -cippi, lilia, stimuli – n'apparaisse à aucun endroit dans l'ordre que décrit César ne devrait pas non plus soulever trop de difficultés ». S. von Schnurbein, Les fossés et les pièges, in : M. Reddé et S. von Schnurbein (dir.) et alii,, op. cit., p. 546.

4) J. Carcopino, Alésia et les ruses de César, Paris, Flammarion, 1958, p. 78.

5) J. Carcopino, ibid., p.78-80.

6) J. Le Gall, La bataille d'Alésia, Publications de la Sorbonne, Paris, 2000, p. 71.

7) S. von Schnurbein, La contrevallation, in : M. Reddé et S. von Schnurbein (dir.) et alii,, op. cit., p. 311-349.

8) Six rangées parallèles, placées à 1,20 m les unes des autres et en quinconce, il s'agit de petites fosses destinées à caler des tiges minces, diamètre 0,04 m à 0,05 m, prof. Conservée 0,20 à 0,25 m. S. von Schnurbein, ibid. p. 327.

9) S. von Schnurbein, ibid., p. 332

10) Les deux structures parallèles sont distantes de 2,50 m et présentent une largeur de 0,30 m à 0,50 m, la profondeur conservée s'établissant à 0,30 / 0,40 m. S. von Schnurbein, ibid., p. 329.

11) S. von Schnurbein, ibid., p. 333

12) S. von Schnurbein, ibid., p. 332-333

13) M. Reddé, op. cit., p.504.

14) S. von Schnurbein, op. cit., p. 542-543.

15) S. von Schnurbein, ibid., p. 544-545.

16) S. von Schnurbein, ibid., p. 545.

 

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