La fibule type Feugère 21b1

 

 

« Les fibules trouvées à Alise : Sur les 74 fibules cataloguées, 23 ont été découvertes lors des fouilles de 1991-1997, 28 lors des fouilles de Napoléon III et 23 proviennent des prospections, dans les labours, sur les camps de hauteur. Ces objets provenant des « fossés d'Alésia » ont souvent servi de référence et l'un des types est même éponyme (type 21a). Pour l'époque du siège, plusieurs types de fibules étaient datés, jusqu'à présent, en raison de leur découverte dans les fossés d'Alésia. Ce raisonnement est repris pour le type 21a. Or nous ignorons à quel niveau du comblement des fossés ces fibules ont été découvertes par les ouvriers de Napoléon III. Les fouilles récentes éclairent de façon déterminante la difficulté de dater sans connaissance du contexte stratigraphique. Une seule fibule, trouvée en fouille au fond du fossé du camp A, dans une couche d'incendie, à l'ouest de la porte sud, est contemporaine du siège (n°48) ; les données de l'étude de la céramique associée confirment cette datation. Cette découverte permet de proposer une nouvelle datation pour ce type de fibule à charnière (21a2) et devrait désormais lever les réserves sur l'appartenance des fibules à charnière dès la Tène D2(1)»

 

Une fibule déjà diffusée en 52 av. J.-C. ? :

 

Il existe une certaine confusion sur le type, celui retrouvé au fond du fossé du camp A est bien un type Feugère 21b1 (2) et non un 21a2, ce qui en terme de datation n'est pas sans importance.

En effet, il semble bien que les fibules type Alésia 21a sont les premières fibules à charnière diffusées en Gaule par les armées romaines et il paraît désormais acquis que cette fibule se diffuse pendant la Tène D2b, peut-être dès le milieu du 1er siècle av. notre ère (3). Toutefois, en Gaule, Alise-Sainte-Reine reste pour l'instant le seul site proposé pour une datation aussi haute.

 

Les types 21b paraissent eux faire l'objet d'une diffusion de quelques années postérieures, en effet il semble bien qu'au niveau de la famille des fibules de type Alésia se dessine deux groupes bien distincts, le groupe I (21a) précurseur du type à charnière et le groupe II (21b) évolution du précédent et phase transitoire vers les fibules à charnière de type Aucissa (4), ces dernières se diffusant en masse à partir de 20 av. J.-C. au sein de l'armée romaine.

Exemple de fibule type Feugère 21b1. Crédit : CNRS
Exemple de fibule type Feugère 21b1. Crédit : CNRS

 

Le contexte de découverte :

 

Comme énoncé en préambule, la plupart des artéfacts retrouvés à Alise ne bénéficient pas d'un contexte totalement fiable (prospections de surfaces, fouilles Napoléon III, niveaux moyens et supérieurs de comblement des fossés), la seule fibule pouvant à ce jour être rattachée sans la moindre ambiguïté au siège qui a concerné Alise, est celle retrouvée au fond d'un fossé du camp A. Cette situation étant valable pour l'ensemble des artéfacts, il paraît utile d'en résumer les conditions de découverte.

 

« Remblai de structures ouvertes (fossés, fosses d'extraction de matériau...) bien corrélées avec l'épisode du siège. Le processus de comblement de ces structures s'étale sur plusieurs dizaines d'années. De façon systématique, leur remplissage supérieur, et parfois intermédiaire, contient un matériel mélangé où la part d'éléments gallo-romain est souvent significative. Seul, le remplissage inférieur initial des structures présente une bonne homogénéité, comme l'attestent les quelques dépôts mobiliers un peu conséquents mis au jour. Ces dépôts détritiques se sont mis en place au moment du siège ou juste après et peuvent être considérés comme des ensembles relativement clos. (5)»

 

Pour résumer, ce sont les objets qui ont pu se déposer au fond des fossés et au moment du siège, avant que le comblement de ces structures ouvertes ne débute, qui présentent les meilleures fiabilités. C'est le cas de la fibule 21b1(6).

 

« Cette découverte dans la couche inférieure de destruction du rempart permet de situer le contexte très proche de la date du siège. Camp A, porte sud, remplissage inférieur cendreux du fossé 4 du camp, US 840 f, sondage 20. Horizon : siège. (7)»

Fibule 21b1 retrouvée à Alise-Sainte-Reine (n° 48). Crédit : Fouilles franco-allemande (1991-1997)
Fibule 21b1 retrouvée à Alise-Sainte-Reine (n° 48). Crédit : Fouilles franco-allemande (1991-1997)

 

Quelle chronologie de datation pour ce type de fibule ?

 

Comme de nombreux autres objets, sa découverte dans les travaux de siège autour d'Alise confirmerait de facto qu'il était déjà en circulation en 52 av. J-C. Pour obtenir une datation moins polluée par cet état de fait il faut s'intéresser à sa situation dans des études antérieures au rapport de fouille ou des aires géographiques différentes :

 

En 1985, M. Feugère considère qu' « on ne dispose d'aucun élément autre que tardif : augustéen à Collemiers, avant 8 av. J.-C. pour vieille-Toulouse (…). Ces fibules conservant la charnière retournée vers l'intérieur qui caractérise le type 21a et les prototypes d'Aucissa 22a1, peuvent être datés sur des critères typologiques de la 2e moitié du 1er siècle av. J.-C. jusqu'à l'apparition du type 22a, vers 20 ou 10 av. J.-C. (8)»

 

Dix ans plus tard J. Metzler propose une datation à peine plus haute : « Au Titelberg, ce type est daté vers 30 av. J.-C. (J. Metzler 1995, Das treverische oppidum auf dem Titelberg, p 232-233, 249, 274, abb. 120 carte, 155, 5-6) (9). »

 

En 2005, J. Istenic note que Demetz (S. Demetz, 1999), avant la publication des résultats des fouilles d'Alésia, « pensait que les fibules du groupe Alésia avec un arc segmenté (son groupe II) étaient plus tardives que les « classiques » fibules du groupe Alésia avec un arc triangulaire (Alésia I dans sa classification). » L'auteur précise aussi que des découvertes de fibules type Alésia II dans un contexte qu'elle date de 35 av. J.-C. pourraient même, d'après une autre étude, se situer dans un contexte plutôt datable vers 16/15 av. J.-C.(10)

 

Enfin, une étude de 2006 par S. Ivcevic (musée archéologique de Split), semble démontrer, là encore, que nous avons affaire à un type de fibule plutôt tardif : « A Salona si è trovato un esemplare che appartiene al tipo Alesia II (Feugère 21b1). Questa variante appartienne al periodo augusteo, è rara in Gallia ed piu frequente nel territorio alpino orientale e nel Veneto orientale (…). (11) »

 

En d'autres termes, hormis celui d'Alise-Sainte-Reine, tous les exemplaires de ce type de fibule ont été retrouvés en contexte au mieux pré-augustéen.

Proposition de chronologie pour les fibules retrouvées sur 2 sites Arvernes. Les fibules à charnières sont présentes à partir de 30 av. J.-C. Crédit : M. Poux.
Proposition de chronologie pour les fibules retrouvées sur 2 sites Arvernes. Les fibules à charnières sont présentes à partir de 30 av. J.-C. Crédit : M. Poux.

Un objet pré-augustéen :

 

L'étude de cet artéfact pose un épineux problème lié à son statut de jalon chronologique puisque chaque artéfact retrouvé à Alise, automatiquement daté de 52 av. J.-C., sert à préciser la datation de tous les objets du même type retrouvés partout en Europe (cf. pour la Gaule : amphores, monnaies celtiques, orichalque...).

 

Est-il possible, dès lors, de s'affranchir du siège alisien pour en obtenir la datation exacte ?

 

Si le type Alésia 21a semble bien avoir été la première fibule à charnière diffusée par les armées romaines, peut-être dès le milieu du premier siècle av. J.-C., et en tout état de cause dans le courant de la Tène D2b (55-25 av. J.-C.)(12) ; nous avons vu au travers des quelques exemples cités, que la chronologie de diffusion du type 21b1 était comprise, au mieux, entre 35 av. J.-C. et le début de la période augustéenne, soit approximativement dans le dernier tiers du 1er siècle avant notre ère.

Sans sa découverte au fond d'un fossé du siège alisien, sa datation ne poserait sans doute pas de gros problème, mais toute l'ambiguïté de la situation est visible au travers de l'étude de J. Istenic sur les fibules retrouvées à Reka. En effet l'auteur constate l'apparition de ces fibules entre 35 et le début de la période augustéenne (13), ce qui permet de rehausser un peu la date de fabrication de ces fibules, tout en restant dans une chronologie cohérente vis-à-vis des autres découvertes du même ordre. Mais elle doit bien évidemment tenir compte de la présence de cette parure à Alise-Sainte-Reine : « Cependant, la seule fibule du groupe Alésia datée avec certitude de 52 avant JC a un arc segmenté (Brouquier-Reddé, Deyber 2001, 295, 298, pl 91: 48.) et appartient donc à la catégorie Alesia II. ». Dès lors toute discussion chronologique argumentée sur cet artéfact pourrait sembler vaine, la chronologie alisienne n'étant pas discutable.

 

Pour autant, et en l’état actuel des recherches, si on se base sur la totalité des découvertes - hormis l’exemplaire d’Alise-Sainte-Reine - force est de constater que la fibule Alesia 21b1 n'est pas encore en circulation en 52 av. J.-C.

 

 

NOTES ET REFERENCES :

 


(1) V. Brouquier-Reddé, A. Deyber, Fourniment, harnachement, quincaillerie, objets divers, in : M. Reddé et S.von Schnurbein, ALESIA : Fouilles et recherches Franco-allemandes sur les travaux militaires romains autour du mont-Auxois (1991-1997), vol 2, 2001, p 295.


(2) V. Brouquier-Reddé, A. Deyber, ibid., vol 2, 2001, p 298, n°48.


(3) M.Poux, L'empreinte du militaire tardo-républicain dans les faciès mobiliers de la Tène finale, in : Bibracte 14, Sur les traces de César, 2008, 381-384.


(4) M. Feugere, Les fibules en Gaule méridionale, de la Conquête à la fin du 5ème siècle après J.-C. (Suppl. 12 à la Rev. Arch. Narb), 1985, p.306. Voir aussi : J. Istenic, Brooches of the Alesia group in Slovenia, Arheološki vestnik (Arh. Vest.) 56, 2005, p. 189-190.


(5) Autres contextes : « Couches recélant du matériel détritique formant l'interface entre la terre arable et le sol naturel, dont la relation avec les structures du siège est aléatoire. Ces couches renferment un matériel chronologiquement hétérogène que seule l'analyse typo-chronologique permet de sérier. »

« Remblai de structures de fondation (trous de tours, tranchées de piège...) césariennes. Le matériel peu fréquent et isolé, contenu dans ces structures remblayées au moment du siège présente une bonne fiabilité. Néanmoins de possibles contaminations par du matériel résiduel sont là encore possibles, ainsi que des intrusions de matériel gallo-romain contenu dans la couche de clôture de ces excavations. »

P. Barral, La vaisselle céramique et les amphores, in : M. Reddé et S. von Schnurbein, op. cit., 2, 2001, p 105-106.


(6) Ce qui ne signifie pas que les objets trouvés dans des contextes moins fiables ne sont pas exploitables. Une majorité est sans aucun doute à relier au siège, notamment parce que ces artéfacts sont chronologiquement compatibles avec un événement de la Tène D2b.


(7) V. Brouquier-Reddé, A. Deyber, op. cit.., vol 2, 2001, p 298, n°48.


(8) M. Feugère, op. cit., p. 306.


(9) J. Metzler, Das treverische oppidum auf dem Titelberg, 1995, p 232-233, 249, 274, abb. 120 carte, 155, 5-6.


(10) J. Istenic, op. cit., p. 189-190.


(11) S. Ivcevic, Le fibule salonitane del primo periodo della romanizzazione. In : M. Buora (a cura di), Le regioni di Aquileia e Spalato in epoca romana (Castello di Udine, 4 aprile 2006), Udine, 2006, p. 218.


(12) On la trouve très fréquemment sur les sites militaires du Limes, même si elle paraît s'effacer assez vite peu après le début de la période augustéenne (vers 20 av. J.-C.) au profit du type Aucissa. J. Istenic, op. cit., p. 189-190.


(13) Mais elle précise en note : « Dans sa publication de 2005 l'auteur date ces découvertes du début de la guerre en Illyrie Octavianic 35-33 BC. Récemment, Rageth (2005) a publié des découvertes militaires romaines et indigènes de la gorge "Crap-Ses" dans le district de Oberhalbstein (Suisse, Canton des Grisons), (...), qui sont de bons parallèles avec les découvertes de Grad. Parmi les trouvailles se trouvent des balles de frondes en plomb oblongues, (...) ainsi qu'une fibule de la variante Alesia IIc. De l'avis de Rageth (2005, 306) les découvertes de Crap-Ses reflètent les combats entre l'armée romaine et la population indigène lors de l'expédition militaire romaine à travers les Alpes en 16/15 av. Dans cette optique, la datation des trouvailles militaires romaines de Grad près de Reka à 35 avant JC semble être moins fiable, mais pas réfutée.» L'auteur admet donc, avec prudence, qu'elle a pu se tromper dans sa datation, bien que rien ne soit définitif. Dans l'un ou l'autre cas, la datation de la fibule est peu affectée, puisque de toute évidence elle existait déjà en 30 av. J.-C. (pour rappel présence sur l'oppidum du Titelberg à cette époque). J. Istenic, ibid., note 11, p.190.

 

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